DISCOURS DE L’HOMMAGE A JEAN CHASSAGNE LE SAMEDI 3 SEPTEMBRE 2022 PAR JEAN-GERARD DIDIERRE MAIRE DE LA CROISILLE-SUR-BRIANCE.
Il y à 75 ans en 1947 Jean Chassagne nous quittait. Il était né à La Croisille-sur Briance le 26 juillet 1881, dans un milieu modeste et était le fils de Jeanne Vergnaud et de Léonard Chassagne.
Chassagne, Vergnaud : deux patronymes bien enracinés dans le terroir limousin, le premier faisant référence au chêne, le second à l’aulne, d’ailleurs, il était le neveu du grand-père paternel de Me Vergnaud -Descubes présente ce matin.
Jean Chassagne, dont la maison natale a disparu (elle était située derrière le monument au mort Place du Docteur Alfred Blanc), nous n’avons pu implanter sa plaque mémorielle toute à l’heure que devant sa dernière demeure.
Le Jean Chassagne qui est né ici à La Croisille le 26 juillet 1881 n’avait rien à voir avec celui qui fit ensuite parti des « Bentley Boys », ce groupe de pilotes de cette marque auquel il sera pourtant intégré vers la fin des années 1920, et qui comptait notamment parmi ses membres Sir Henry (dit Tim) Birkin, troisième baronnet du nom – c’est la famille de l’actrice et chanteuse Jane Birkin.
Il débuta sa carrière en choisissant de s’engager volontairement dans la Marine, le 29 novembre 1900, à Cherbourg, pour un service militaire de cinq ans. (il obtient un congé de convalescence pour l’été 1904) . À son retour, il demande à servir sur les sous-marins et le fera durant 4 mois à bord de l’Espadon ».
À nouveau malade, après un séjour à l’hôpital il est envoyé encore en (long) congé de convalescence, et revient naturellement à La Croisille comme lors du premier congé.
Ses compétences, son professionnalisme ont été salués partout où il est passé ; ils ont permis à plusieurs reprises qu’on lui donne ses chances de passer à un niveau supérieur. Il lui a fallu aussi des qualités personnelles et morales pour s’intégrer partout et y être apprécié, ainsi que pour réussir.
Les premiers engins de compétition motorisés aux commandes desquels il put se retrouver furent des avions, quand il accompagna dans cette nouvelle aventure de l’aviation son ami Hanriot.
On le retrouve en 1911 à diriger l’école de pilotage créée par Hanriot en Espagne à Algésiras.
Dans l’intervalle, participant à des meetings d’aviation, il s’illustre à la fois par la longueur des parcours effectués, l’altitude et la vitesse.
En 1913, c’est au Royaume-Uni la firme Sunbeam qui le recruta, pour prendre en charge des moteurs de voitures de course et d’avions d’abord comme mécanicien puis comme pilote.
Pour ces derniers, l’autodrome de Brooklands, au Royaume-Uni, le vit souvent briller, notamment en octobre 1913 : le 2 octobre, record du monde des Deux fois 12 Heures ; le 4, record du tour de piste ; le 10, record du monde de l’heure (à plus de 173 km/h). Sunbeam n’a pu que se féliciter de l’avoir mis derrière le volant.
Pour le GP de l’ACF en 1913, son premier Grand Prix, dans son pays, il termina 3e toujours au volant d’une sunbeam : un coup d’essai qui était un coup de maître.
Puis en 1914, il pilote aussi des bateaux, très différents de ceux de son service militaire : des canots automobiles, on le retrouve au Meeting de Monaco, toujours pour la firme Sunbeam.
Dès 1915, et pour toute la durée de la guerre, à la demande de l’Amirauté anglaise, il fut détaché auprès de Sunbeam pour construire, mettre au point et entretenir des moteurs d’avions utilisés par des escadrilles anglaises et françaises.
Puis, il sera exclusivement pilote automobile, en déployant une belle polyvalence : il s’illustre en courses de côte, dans les Grands Prix, en endurance (courses auxquelles il se consacre majoritairement à partir de 1925) et s’attaque régulièrement à des records de vitesse.
Certes, piloter les voitures de l’époque (sans direction assistée, certaines lourdes comme la Bentley 4,5 litres qui dépasse les 1600kgs) nécessitait de la poigne et faisait les biceps.
.Déjà, sa longévité le prouve : ayant commencé à piloter des voitures passé 30 ans, il ne cessera que juste avant ses 50 ans.
En 1919, il sort de la piste d’Indianapolis à très haute vitesse pour l’époque (170km/h), suite à une panne de direction et pour éviter de percuter un concurrent
Au 1er GP d’Allemagne en 1926, l’intrépide Jean Chassagne, qui menait sur Talbot, dérape dans un virage et se retourne. On le relève inanimé, gravement blessé à la tête.
La victoire la plus éclatante qu’il remporta au volant, c’est certainement, voilà 100 ans, lors du Tourist Trophy, le 22 juin 1922, sur l’île de Man, une épreuve de près de 5 heures 30 courue dans des conditions climatiques difficiles qui plus est.
Aux 24 Heures du Mans 1927, l’équipage de Chassagne occupait la tête avec une solide avance jusqu’à tard dans la course… quand une panne mécanique le priva de la victoire.
Evidemment, il termina souvent à des places tout à fait honorables, notamment : 2e au GP d’Italie 1921 ; 2e aux 24 Heures du Mans 1925, puis 5e en 1928 et 4e en 1929 ; 2e aux 24 Heures de Belgique à Spa en 1927 ; 2e aux 12 Heures de San Sebastian en Espagne la même année.
Tant de places de second. Un sportif issu d’un milieu modeste ; un coureur tenace, discret, probe. On est en Limousin : difficile de ne pas se mettre à songer à Raymond Poulidor, en se disant que Chassagne aurait dû gagner Le Mans comme Poulidor le Tour de France.
Dans sa jeunesse Il a fait partie des pionniers de l’automobile et de l’aviation, pilote français à une époque où la France s’illustrait particulièrement dans ces deux domaines, qui bénéficiaient d’une forte présence dans la presse sportive.
Il a piloté pour des marques anglaises prestigieuses (Sunbeam, Bentley). Il jouissait donc d’une vraie notoriété, et il faut reconnaître qu’il est resté plus connu en Angleterre que dans notre pays !!!
Une notoriété qui a perduré après l’arrêt de la compétition :
En 1935, il a obtenu une reconnaissance enfin « officielle » en recevant le grade de Chevalier de la Légion d’honneur peut-être le seul crouzillaud à l’avoir ?
En juin 1944, une partie de l’armée allemande remontant vers le nord-ouest de la France a semé la terreur (voir les pendus de Tulle et Oradour-sur-Glane).
Une colonne ayant fait halte à La Croisille, les Allemands prirent dix otages qu’ils allaient fusiller. Chassagne, n’écoutant que son courage et n’ayant pas d’enfant, se présenta pour prendre la place d’un père de famille.
Par un heureux hasard, l’officier qui commandait la colonne s’intéressait aux courses automobiles ; il se souvint que Chassagne, qui avait été le premier pilote français à accepter de revenir courir sur un circuit allemand après la guerre de 14, et avait subi un grave accident lors du premier Grand Prix d’Allemagne, en 1926.
Les dix otages furent libérés. Mais Emma Chassagne, qui a raconté ce douloureux épisode à la famille Jarraud, a craint ce jour-là de ne pas revoir son mari.
Il est décédé ici à La Croisille, dix-sept ans après avoir arrêté la compétition, des suites d’une longue maladie, comme on dit aujourd’hui et le 18 avril 1947, sa veuve reçut le télégramme suivant, signé Bugatti : « Apprenons avec émotion la douleur qui vous frappe vous adressons nos très sincères condoléances. »
Après son décès en revanche, Chassagne est largement oublié, du moins dans son pays, c’est cette injustice que nous réparons aujourd’hui.
Cet oubli a sûrement été facilité par le fait qu’il n’a pas eu de descendants directs.
Il n’est donc pas très étonnant qu’il ait été honoré dans l’espace public d’abord au Royaume-Uni : à Crewe, où se trouvaient le siège social et le lieu de fabrication de Bentley, un « Chassagne Square », sur « Rolls Avenue », a été ainsi nommé pour lui rendre hommage.
La rédaction d’un premier article de fond en français depuis sa mort ne fut publiée qu’en mai/juin 1971.
C’est à cette époque que R.Jarraud conçut, et posa sur sa tombe un médaillon de bronze à son effigie, qui l’immortalise en pilote. Que le conseil municipal vient de rééditer en porte-clé en souvenir de cette journée d’aujourd’hui qui lui est dédiée.
La suite se fit par relations. R.Jarraud parvint à faire nommer une rue de Limoges du nom de Jean Chassagne : ceux qui l’empruntent peuvent s’apercevoir qu’elle convient particulièrement bien à un pilote qui s’est illustré dans des courses de côte !!!
Et ici à La Croisille, on prit conscience de la valeur de cet enfant du pays qu’assez récemment en donnant son nom au stade municipal, puis ces dernières années par un certain nombre de publications dans le bulletin de la commune.
C’est cette injustice que La Croisille répare aujourd’hui avec cette grande journée d’hommage à Jean Chassagne pour le mettre pleinement à l’honneur, lui rendre la célébrité internationale dont il bénéficiait de son vivant et lui assurer, espérons durablement, une meilleure continuité mémorielle.
Avant de conclure je tiens personnellement à remercier toutes celles et ceux qui nous ont aidés à mettre en place cette journée, mon ami le maire de Sussac Gilles Matinaud, notre directrice de l’école Laure Correia et Isabelle Bourliataud la première adjointe chargée du scolaire, Josette Jarraud et Claire, Marie-Françoise Vergnaud-Descubes, Henri Lopez, Philippe Gourinchas, Alain Bouillon et la Camaf, Jean-Yves Raineix, Philippe Sarre, Alain Thevenin, Pierre Bernis, Yves Claval et la FFVE, Daniel Aupetit et les Présidents de clubs autos du Limousin et leurs adhérents, Sylvie Lartisien et l’association « Cœur de Briance » et ses bénévoles, Pierre Duchez pour ses cartes postales, Lucien Franchet, Bernard Boussely et notre service technique et évidemment notre adjointe à la culture et aux animations Marie-Laure Bouthier grande cheffe de cette animation.
Pour terminer j’émets le souhait que Jean Chassagne retrouve enfin pleinement la notoriété qu’il mérite c’est le sens des manifestations que nous avons organisées ce samedi 3 septembre chez lui à La Croisille-sur-Briance.
Mon souhait le plus cher est que les gens disent maintenant « La Croisille-sur-Briance ? c’est la commune de Jean Chassagne là où il y a la foire du 18 de chaque mois ».
Merci de votre attention.
Jean-Gérard Didierre.
Maire de La Croisille-sur-Briance
Le samedi 3 septembre 2022