11 NOVEMBRE 2024 à La Croisille–sur-Briance, Discours du Maire en Français et ensuite en Anglais.
Mesdames, Messieurs
Mesdames et Messieurs les élus,
Messieurs les Porte-drapeaux,
Mesdames et Messieurs les représentants des autorités civiles et des corps de sapeurs-pompiers de St germain les Belles et de Chamberet et de la brigade de gendarmerie d’Eymoutiers.
Lady’s and gentlemen’s.
Nous sommes réunis ce matin avec nos amis anglais qui célèbrent le Poppy Day comme c’est maintenant la tradition au 11 novembre à La Croisille, pour rendre un hommage appuyé aux hommes et aux femmes tombés au champ d’honneur, et qui ont sacrifié leurs « 20 ans » pour que nous soyons libres aujourd’hui.
C’était il y a 106 ans, plus d’un siècle, mais les images demeurent omniprésentes.
Avec la 1ère guerre mondiale, la France et l’Europe ont basculé dans un autre monde dont l’héritage est encore vivace, et ce monde ne s’est finalement jamais vraiment remis des atrocités issues des deux conflits mondiaux du 20e siècle.
Ce qui se passe en ce moment au Proche-Orient ou en Ukraine nous le rappelle tous les jours.
Car cette première guerre mondiale devait être « la der des ders » à la suite de quatre années redoutables de sang et de larmes. Quatre années d’horreur, d’angoisse, de souffrance, de privations.
Quatre années qui virent disparaître plusieurs générations.
Tous ceux qui vécurent cette période revinrent des combats à jamais transformés, à jamais marqués, pour certains à jamais brisés, et ils exprimèrent le souhait de raconter et de témoigner.
Henri Barbusse dans « Le feu », pour lequel il obtiendra le Prix Goncourt, ou Blaise Cendrars dans « La main coupée » décrivirent avec justesse l’horreur de la vie des poilus dans les tranchées, affrontant le froid, la boue et le tonnerre de feu qui s’abattait chaque jour sur eux.
Cette année je vais vous lire deux témoignages, l’un est allemand et l’autre Français le premier est celui d’un jeune lieutenant de l’armée allemande Emst Jünger qui en fit un récit autobiographique en 1920 dans son livre « Orages d’acier ».
« Jusqu’à la position Siegfried, chaque village n’était plus qu’un monceau de ruines, chaque arbre abattu, chaque route minée, chaque puits empoisonné, chaque cours d’eau arrêté par des digues, chaque cave crevée à coups d’explosifs ou rendue dangereuse par des bombes cachées, chaque rail déboulonné, chaque fil téléphonique roulé et emporté, tout ce qui pouvait brûler avait flambé….!
Bref, nous changeâmes le pays en désert, en prévision de l’avance ennemie.
Ces spectacles faisaient songer à une maison de fou, et provoquaient des sentiments analogues, mi comique, mi de dégoût.
Ils furent aussi, et l’on ne tarda pas à s’en apercevoir, funestes pour la discipline.
Ce fut la première fois où je vis à l’œuvre la destruction préméditée, systématique, que j’allais rencontrer jusqu’à l’écœurement dans les années suivantes ; elle est en corrélation étroite avec les doctrines économiques de notre temps et rapporte au destructeur lui-même plus de tort que de profit. »
Le second texte est celui d’un français dont je vais vous réciter les premiers vers et il est tiré de ce magnifique poème appelé « la voix des tombes », qui fut écrit en Mars 1917 par un appelé, le caporal Charles Poirier, dans les tranchées de Coeuvres dans l’Aisne.
« Lorsque vous passerez après nous sur la route
Ou nous avons peiné, ou nous avons souffert
Sans avoir d’autre abri que la céleste voute
Lorsque tous les démons rentreront en enfer,
Lorsque la paix enfin renaitra sur le monde
Vous chercherez en vain la trace de nos pas ?
D’autres auront passé dans l’orage qui gronde ;
Et nous aurons disparu des choses d’ici-bas. »
Le bilan effroyable de cette guerre est connu de tous
Souvenons-nous qu’1 400 000 français et un million d’anglais et d’irlandais qui s’étaient opposés aux Allemands dans les tranchées manquaient malheureusement à l’appel.
Et enfin ce 11 novembre 1918 à 11 heures, au son des clairons sur la ligne de front et des cloches des églises dans tous les villages de France, s’achevait le plus terrible conflit que l’humanité ait connu jusqu’alors.
Et c’est ces mêmes cloches que nous avons fait sonner à l’instant à l’église de La Croisille pour l’arrivée de notre cortège au monument aux morts.
Même si le 11 novembre n’est que l’arrêt des combats et pas la fin de la guerre officielle dont la fin ne fut signée que le 29 juin 1919 avec le traité de Versailles.
En 1918, après ces quatre années de guerre, on peut dire qu’elles ont bouleversé l’histoire du monde, laissant une Europe divisée et durablement affaiblie, une Europe dont la prééminence sur la scène internationale est remise en cause.
Il faudra l’échec de la société des Nations en 1919, les affres de la grande dépression de 1929 et l’abime de la seconde guerre mondiale de 1940, pour finalement poser les fondations d’un monde de paix et de droit, qui donnera naissances à l’idée européenne, enfantée par le drame de la première guerre mondiale.
Système qui est à nouveau aujourd’hui remis en cause par la montée des partis populistes et xénophobes partout en Europe et dans le monde.
Raison de plus pour se réunirent encore plus autour de notre monument aux morts, en souvenir de nos enfants morts pour notre liberté.
Comme l’a dit Vladimir Jankélévitch dans ses lettres posthumes publiées en 1956 :
« Dans l’universelle amnistie morale depuis longtemps accordés aux assassins, les déportés, les fusillés, les massacrés n’ont plus que nous pour penser à eux.
Si nous cessions d’y penser nous achèverions de les exterminer.
Les morts dépendent entièrement de notre fidélité car le passé à besoin de notre mémoire ».
Notre commune elle-même a payé un lourd tribut à cette guerre. Il suffit de lire tous ces noms sur notre monument aux morts pour voir que chaque famille d’ici fut touchée.
De Celle des AUGERAS à celle des VERDEYME, ce sont 103 enfants de la Croisille qui ne sont pas revenus vivants au village.
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C’est toute la force des Monuments aux Morts : ils nous rappellent l’héroïsme de ceux qui ont souffert et connu la mort comme l’ont dit toute à l’heure Lucas et Samuel au nom des enfants de notre école communale.
Jean Jaurès disait « Maintenir la tradition, c’est garder la flamme, non des cendres ».
Car mes chers amis, mes chers enfants, à La Croisille aussi, nous devons travailler ensemble pour garder la flamme et pour que le « plus jamais ça » puisse avoir un sens partagé et approprié par tous, un sens véritablement républicain.
Aussi n’oublions jamais de nous appuyer sur notre triple devise Républicaine « Liberté, Egalité, Fraternité », que vous voyez inscrite ici sur les deux écussons de notre monument aux morts en prenant la précaution de ne jamais en altérer la portée éducatrice.
La liberté c’est avec la Laïcité le droit absolu de croire ou pas, de penser, d’agir, mais toujours sans porter atteinte aux droits des autres.
L’égalité doit nous faire se mettre au niveau des humbles et des faibles, et non de se mettre orgueilleusement avec les grands et les puissants.
La fraternité doit nous faire aimer sincèrement et secourir ceux qui souffrent, non pas en se limitant à l’aide philanthropique ou défiscalisé, mais en prodiguant des conseils les plus avisée et en apportant un réconfort moral à ceux qui en ont le plus besoin.
Soyons conscients de la fragilité de notre société qui n’est jamais à l’abri d’un retour de la barbarie qui aujourd’hui prend la forme de ce que l’on appelle maintenant le populisme mais qui est en réalité une manifestation du racisme, de l’islamophobie, de l’antisémitisme, de l’exclusion et du rejet de l’autre au prétexte qu’il est différent de nous.
Souvenons-nous que l’expérience de la vie aide un homme à se bâtir et que l’expérience de l’histoire aide un peuple à se construire.
Restons vigilants et transmettons notre histoire ici et maintenant.
Vive la Paix.
Vive la République.
Vive la France.
Jean-Gérard DIDIERRE
La Croisille-sur-Briance le 11 Novembre 2024
11 NOVEMBER 2024 at La Croisille-sur-Briance en Anglais
Ladies and gentlemen,
Councillors,
Flag-bearers,
Representatives of the civil authorities and the fire service of St Germain-les-Belles and Chamberet, and the gendarmerie of Eymoutiers.
As is now the tradition on 11 November at La Croisille, this morning we are are together with our British friends who are remembering ‘Poppy Day’, paying our respects to the men and women who fell on the field of honour, and who sacrified their twenties so that we are free today.
It was more than a 100 years ago, over a century, but the images are still omnipresent.
With the outbreak of the First World War, France and Europe plunged into another world, whose legacy is still vivid, and this world has never really recovered from the atrocities of the two world wars of the 20th century.
What is now happening in the Middle East and in Ukraine is a daily reminder of this.
For the First World War was to have been ‘the war to end all wars’ following four dreadful years of bloodshed and tears. Four years of horror, anguish, suffering and deprivation.
Four years that saw several generations disappear.
All those who lived through this period came back forever changed, forever marked, some of them forever broken, and they expressed the wish to tell and to witness.
Henri Barbusse in ‘Under Fire’, for which he was awarded the Prix Goncourt, or Blaise Cendrars in ‘The Bloody Hand’ accurately described the horror of life in the trenches, facing the cold, the mud, and the thunder of firing which rained down on them each day.
This year I am going to read two witness accounts to you, one is German and the other French. The first of them is from a young Lieutenant in the German army, Ernst Jünger who wrote an autobiographical account in 1920 in his book ‘Storms of Steel’.
“By the time we reached the Siegfried position, every village was in ruins, every tree felled, every road mined, every well poisoned, every river dammed, every cellar blown up or made dangerous by hidden bombs, every railway sabotaged, every telephone line rolled up and carried away, everything that could burn gone up in flames… !
In short, we changed the country into a desert, before the advance of the enemy.
These sights made one think of a madhouse, and provoked similar feelings, half comical, half disgusting.
They were also, and it didn’t take long for people to notice it, bad for discipline.
It was the first time I saw the work of premeditated destruction, systematic, that I was going to encounter until the point of disgust in the years that followed; it was in close correlation with the economic doctrines of our time and brought the destructor himself more harm than good.”*
The second text is that of a Frenchman, and I am going to recite the first verses to you, taken from the magnificent poem ‘The Voice of the Tombs’, which was written in March 1917 by the conscript Corporal Charles Poirier, in the trenches of Coeuvres in the Aisne.
“When you pass on this road after us
Where we have toiled, where we have suffered
Without no other shelter than the celestial vault
When all the devils will return to hell,
When peace is at last restored to the world
Will you search in vain for the traces of our steps?
Others will have passed in the storm that rumbles;
And we shall have disappeared from the things of this world.”*
We all know the appalling toll of this war, and you have just been reminded of it by a child from our school.
On 11th November 1918, at 11am, to the sound of bugles on the front line and church bells in all the villages of France, the most terrible conflict that humanity had ever known came to an end.
And it is these same bells that rang just now in La Croisille’s Church, for the arrival of our procession at the War Memorial.
Even if 11th November is only the end of the fighting as the war did not officially end until the signing of the Treaty of Versailles on 29 June 1919.
In 1918, after these four years of war, one can say that the history of the world was turned upside down, leaving a divided and permanently weakened Europe, whose
pre-eminence on the international stage was called into question.
It would take the failure of the League of Nations in 1919, the throes of the Great Depression in 1929 and the damage of the Second World War in 1940 to finally lay the foundations of a world of peace and law, which would give birth to the European idea, born of the tragedy of the First World War.
A system that is once again being called into question by the rise of populist and xenophobic parties throughout Europe and the world.
All the more reason to come together at our War Memorial, in memory of our children who died for our freedom.
As Vladimir Jankélévitch said in his letters, published posthumously in 1956:
‘In the universal moral amnesty long granted to murderers, the deported, the shot, the massacred have only us left to remember them.
If we stop thinking of them, we obliterate them.
The dead depend entirely on our loyalty, because the past needs our memory.’
Our commune itself paid a heavy price in this war. You have only to read the names on our memorial of those who died to see that each family here was affected.
From those of AUGERAS to those of VERDEYME, there were 103 children of La Croisille who did not return alive to the village.
It is the strength of the War Memorial: it reminds us of the heroism of those who suffered and died.
Jean Jaurès said, ‘Keeping the tradition, it means keeping the flame alive, not the ashes’.
So my dear friends, my dear children, in La Croisille too, we must work together to keep the flame alive and ensure that ‘never again’ can have a meaning that is shared and appropriated by all, a truly republican meaning.
So, let us never forget to depend on our threefold Republican motto, ‘Liberté, Egalité, Fraternité’ (‘Liberty, Equality, Brotherhood’) – that you see inscribed here on the two crests on our War Memorial, taking care to never alter its educational significance.
With secularism, liberty means the right to believe or not to believe, to think, to act, but always without infringing the rights of others.
Equality must mean putting oneself on the level of the humble and the weak, not proudly placing oneself with the great and powerful.
Brotherhood must make us sincerely love and help those who suffer, not by limiting ourselves to philanthropic or tax-free aid, but by giving the best advice and moral comfort to those who need it most.
Be aware of the fragility of our society which is never safe from the return of barbarism, which today takes the form of what is now called populism but in reality is a manifestation of racism, Islamophobia, antisemitism, exclusion and rejection of others on the pretext that they are different to us.
Let us remember that the experience of life helps a man to build himself, and the experience of history helps a people to build itself.
Let us remain vigilant and pass on our history here and now.
Long live Peace.
Long live the Republic.
Long live France.
Jean-Gérard DIDIERRE
La Croisille-sur-Briance le 11 Novembre 2024
*A translation of today’s speech, not the official translation in English versions of these works.