COMMÉMORATION DE LA FIN DE LA GUERRE D’ALGÉRIE 2023 DISCOURS DU MAIRE DE LA CROISILLE-SUR-BRIANCE
Il est des moments de notre histoire difficile et douloureux à commémorer. Douloureux, parce qu’ils cristallisent trop de blessures encore vives dans la société. Parce qu’ils suscitent toujours autant de passions, de colères, mais aussi beaucoup d’incompréhensions. Le 19 mars 1962 est de ceux-là. Il appartient à ce « passé encore à vif. »
Car près de 60 ans après le cessez-le-feu en Algérie, évoquer ce conflit – huit longues années – ravive des blessures, dans les mémoires et les esprits, des deux côtés de la Méditerranée.
Pour les Algériens, ce fut la fin du joug colonial et le début de la liberté. Mais une liberté, très vite pervertie, confisquée par une oligarchie qui s’appropria les richesses nationales. L’ivresse de l’indépendance laissant place très vite à la guerre civile, aux représailles et exécutions sommaires.
Pour les plus d’un million de pieds-noirs rapatriés, cette date devint synonyme de rupture, d’abandon d’une terre qui les a vus naître et grandir.
Et entre les deux, il y eut tous ces Algériens, ces Français, ces vies innocentes, victimes de la guerre et de tous ses excès.
Ces Algériens, morts parce qu’ils voulaient vivre libres : 500 000 civils ou combattants ont péri. Sans oublier les Harkis auxquels la France a tourné le dos.
Il y eut ces jeunes appelés du contingent – 2 millions – projetés dans une guerre qui ne disait pas son nom mais qui en contenait pourtant toutes les souffrances et les horreurs : 25 000 ont été tués dont celui que nous commémorons ici tous les ans Claude CHARTAGNAC.
La guerre d’Algérie, ce sont toutes ces mémoires multiples et antagonistes qu’il nous faut comprendre dans leur complexité.
Aujourd’hui, en prenant part à cette commémoration, nous honorons toutes les douleurs et nous reconnaissons toutes les souffrances liées à cette guerre. Nous n’oublions aucune des victimes.
Aujourd’hui, notre présence traduit aussi notre devoir de mémoire, essentiel à notre conscience collective et citoyenne. Car, si la date du 19 mars 1962 marque la fin officielle de la guerre, elle ne panse pas les blessures. Encore aujourd’hui on peut avoir le sentiment que la « tragédie algérienne » continue dans les têtes, les cœurs, les mémoires.
C’est que, pendant trop longtemps, cette histoire n’a existé que dans l’histoire privée, racontée « chacun de son côté », conduisant à ce que l’historien Benjamin Stora appelle une « communautarisation de la mémoire ».
Les pieds-noirs, dont personne ne voulait connaître l’histoire, entretenaient leur propre récit, tout en subissant la vision stéréotypée de colonisateurs alors que la plupart d’entre eux étaient de condition modeste. Les appelés du contingent ayant combattu sur place revenaient dans un pays où, pressé de passer à autre chose, on resta sourd à leur récit traumatique. Les harkis, parqués dans des camps d’internement, étaient contraints au silence, Français de seconde zone et jetés hors du vent de l’histoire des deux côtés de la Méditerranée. L’immigration algérienne vivant en France qui, durant des dizaines d’années, n’a pas eu voix au chapitre.
Nous devons cesser de porter le poids de la culpabilité et du silence, pour réconcilier les parcours individuels dans notre histoire commune.
Ne pas assumer notre histoire engendre la menace que se développent des mémoires dangereuses qui finissent par fabriquer des identités meurtries. Souvenons-nous de ce que dit l’historien Pierre Nora, spécialiste du sentiment national : « L’histoire rassemble, la mémoire divise ».
La France a avancé sur ce terrain. Dans la foulée du rapport de l’historien Benjamin Stora, le président de la République a reconnu la responsabilité de l’État français dans la disparition et l’assassinat du mathématicien communiste Maurice Audin et de l’avocat algérien Ali Boumendjel. La déclassification en cours des archives portant sur la guerre d’Algérie s’inscrit également dans ce mouvement.
Je finirai par ces mots prononcés par François Hollande, président de la République lors de la première commémoration nationale du 19 mars : « Alimenter la guerre des mémoires, c’est rester prisonnier du passé ; faire la paix des mémoires, c’est regarder l’avenir ».
Ce 19 mars 1962, les accords d’Évian scellent la fin officielle des combats. En commémorant cet accord, nous honorons la mémoire de Claude CHARTAGNAC et de toutes celles et tous ceux, civils et militaires, Français et Algériens, qui en furent les victimes.
En commémorant cet accord, nous regardons en face notre histoire et sa vérité, aussi douloureuse soit-elle pour notre pays et notre conscience, mais surtout pour vivre en paix et en fraternité demain.
Vive la République. Vive la France. Vive la Paix.
Jean-Gérard DIDIERRE
La Croisille-sur-Briance le 19 mars 2023