.Mesdames et Messieurs,
Mesdames et Messieurs les élus,
Messieurs les Représentants d’Associations d’Anciens Combattants, Résistants et Déportés,
Messieurs les Porte-drapeaux,
Mesdames et Messieurs les représentants de la gendarmerie et des pompiers,
Ladies and Gentlemen,
Chers amis,
Nous sommes réunis ce matin avec nos amis anglais, comme c’est maintenant la tradition du 11 novembre à La Croisille, pour rendre un hommage appuyé aux hommes et aux femmes tombés au champ d’honneur entre 1914 et 1918, et qui ont sacrifié leurs « 20 ans » pour que nous soyons libres aujourd’hui.
Et cette année, si vous le voulez bien et compte tenu des derniers événements internationaux nous allons également rendre hommage à ceux de 1870, qui ont été le fondement de notre République et aux victimes des attentats de Paris et de Nice
C’était il y a 100 ans, un siècle, mais les images demeurent omniprésentes. Avec la 1ère guerre mondiale, la France et l’Europe ont basculé dans un autre monde dont l’héritage est encore vivace, et ce monde ne s’est finalement jamais vraiment remis des atrocités issues des deux conflits mondiaux du 20e siècle.
Car cette première guerre mondiale devait être « la der des ders » à la suite de quatre années redoutables de sang et de larmes. Quatre années d’horreur, d’angoisse, de souffrance, de privations. Quatre années qui virent disparaître plusieurs générations. Tous ceux qui vécurent cette période revinrent des combats à jamais transformés, à jamais marqués, pour certains à jamais brisés, et ils exprimèrent le souhait de raconter et de témoigner.
Henri Barbusse dans « Le feu », pour lequel il obtiendra le Prix Goncourt, ou Blaise Cendrars dans « La main coupée » décrivirent avec justesse l’horreur de la vie des poilus dans les tranchées, affrontant le froid, la boue et le tonnerre de feu qui s’abattait chaque jour sur eux.
Le bilan effroyable de cette guerre est connu de tous, et les chiffres donnent le vertige : 9 millions de morts, 6 millions de mutilés, dont pour beaucoup les plus jeunes de notre vieux continent. Venus également des quatre coins de l’Empire Français de l’époque, de l’outre-mer, de l’Afrique Noire, de l’Afrique du Nord, de l’Indochine, de l’Océanie, des centaines de milliers d’hommes ont contribué à l’effort de victoire, sans oublier les britanniques venus eux aussi combattre à nos côtés et qui, pour beaucoup d’entre eux, l’on fait au sacrifice de leur vie.
Ce qui fit dire à Kant : « La guerre crée plus de méchants qu’elle n’en supprime ».
Comme vient de le dire Charlène, cette année est le centenaire de la bataille de Verdun et de celle de la Somme que nous avons menées en commun avec nos amis britanniques. Elle a rappelé que notre pays est sorti ruiné et meurtri de ce conflit : 1 million 400 000 morts, dont 600 000 victimes civiles, 3 millions de blessés, de mutilés, d’aveugles, de gazés, ceux que l’Histoire à retenus sous l’appellation de « gueules cassées ».
Souvenons-nous que c’est le 11 novembre 1918, à 5h15 du matin, que les plénipotentiaires allemands acceptaient les conditions de l’armistice du Maréchal Foch dans la clairière de Rethondes, en forêt de Compiègne.
A 11 heures, le cessez-le-feu devenait effectif et la France pouvait célébrer la victoire, qui était aussi la revanche de 1870 sur ceux qu’on appelait alors les Prussiens.
A Paris, le 11 novembre, la Chambre des députés et le Sénat firent un triomphe à Clémenceau, l’homme qui incarnait ce jour-là la victoire. Après leur avoir lu les conditions d’armistice, le
« Tigre » s’adressa aux parlementaires en ces termes : « Au nom du peuple français, au nom du gouvernement de la République Française, j’adresse le salut de la France Une et indivisible à l’Alsace et à la Lorraine que nous avions perdu en 70 ».
98 ans après la fin de ces dramatiques évènements, la France se souvient du sacrifice de ses enfants et elle n’oublie pas, comme je le disais précédemment, celui de tous les hommes venus d’ailleurs pour mourir sur notre sol.
Quand, en 1922, le législateur instaura, le 11 novembre, un jour férié dédié à la commémoration de la victoire, il était sans doute loin d’imaginer qu’au siècle suivant, les Français se réuniraient encore dans tout le pays, en souvenir de ses enfants morts pour la liberté. Et pourtant, nous sommes là, encore, aujourd’hui. Nous sommes toujours aussi nombreux autour de notre monument aux morts, 100 ans après 14-18 et 146 ans après 1870, alors qu’une seconde Guerre Mondiale est passée entre-temps, alors qu’acteurs et témoins ont tous disparus, la ferveur du 11 novembre ne faiblit pas.
Notre commune elle-même a payé un lourd tribut à celle qu’on pensait être la « der des ders ». Il suffit de lire tous ces noms sur notre monument aux morts pour voir que chaque famille d’ici fut touchée. De Celle des AUGERAS à celle des VERDEYME, ce sont plus de 100 enfants de la Croisille qui ne sont pas revenus vivants au village.
C’est toute la force des Monuments aux Morts : ils nous rappellent l’héroïsme et la victoire, tout en égrenant les noms de ceux qui ont souffert et connu la mort. Trop souvent aujourd’hui, malheureusement, les monuments aux morts se trouvent dans un environnement d’indifférence. Nous devons leur rendre toute l’attention qu’ils méritent pour ne pas oublier l’horreur de la guerre, pour que le passant ne les regarde plus jamais de la même façon.Ces monuments nous invitent au contraire à prendre la mesure, au quotidien, de la chance que nous avons de vivre libres dans un pays en paix au sein d’un monde tourmenté par de terribles conflits. Nous le voyons bien avec les actes terroristes que nous subissons, sans oublier nos terrains d’opération en Afrique, au Moyen-Orient, où nos soldats défendent, au péril de leur vie, nos valeurs républicaines.
C’est précisément quand tous les témoins ont disparu qu’il faut prendre garde que l’Histoire n’anéantisse pas le souvenir, mais au contraire le vivifie. Comme nos ancêtres au retour des tranchées, il faut être plus que jamais vigilants et résolus à ce qu’une telle épreuve ne se reproduise pas.
Commémorer le 11 novembre 1918, c’est accomplir notre devoir de mémoire vis-à-vis de ceux qui nous ont légué les valeurs de courage pour la défense de la Nation et de la République, mais aussi celles du pacifisme.
Rappelons-nous aussi que 14-18 fut une sorte de revanche de 1870, contre l’incurie de ceux qui gouvernaient avec l’Empire La France à l’époque. Ayons une pensée pour celles et ceux qui, dans plusieurs villes de France, dont Paris et Limoges, se levèrent et se révoltèrent avec la Commune, notamment pendant la semaine sanglante du 21 au 28 mai 1871.
N’oublions pas que les fondements des idées de notre République viennent de là. C’est la Commune qui inspira la séparation de l’Eglise et de l’Etat qu’elle avait appliquée, et conséquemment la laïcisation de l’enseignement, et que tout cela mena à la chute de l’Empire et à l’avènement de la République.
Souvenons-nous des Eugène Pottier, Jules Vallès, Louise Michel, et bien entendu de Jean Baptiste Clément qui lui-même a combattu pendant la semaine sanglante de fin mai 1871. Il est l’auteur de cette belle chanson, « Le Temps des Cerises », qui n’a pas pris une ride 146 ans après et qui est devenue une vraie chanson populaire, une chanson de nos racines républicaines, et que les poilus de 14 chantaient en montant à Verdun ou aux Chemins des Dames.
Si vous le voulez bien, nous allons écouter ensemble la version chantée l’hiver dernier par le chœur de l’armée française en hommage aux victimes des attentats de Paris, et ayons de même une pensée pour les victimes de l’attentat de Nice.
Rêvons ensemble du jour où le retour à la paix ne sera plus seulement, comme l’écrivait Jean GIRAUDOUX, « l’intervalle entre deux guerres », mais plutôt comme l’avait voulu le philosophe Emmanuel KANT, « l’aube d’une paix perpétuelle ».
Que le souvenir du sacrifice des combattants de ces guerres renforce encore notre détermination à œuvrer pour la paix. Tout au long du 20e siècle, il n’y a pas eu de Nations dans le monde qui se soient autant affrontées que la France et l’Allemagne.
Depuis, le chemin parcouru après la Seconde Guerre mondiale a été immense. Tout cela a été rendu possible, grâce à l’œuvre des pères de la réconciliation franco-allemande : Robert Schuman, le chancelier Adenauer et le général de Gaulle.
Il n’y a pas aujourd’hui dans le monde d’autres Nations que la France et l’Allemagne qui soient animées par un désir aussi intense de poursuivre la construction d’un avenir commun. Cette dynamique de paix, de prospérité partagée et de fraternité n’est sans doute possible que parce que nous nous sommes tant affrontés, trop affrontés. Nous avons su tirer les leçons du passé. Il nous faut continuer.André Malraux a donné, me semble-t- il, le sens et la portée de toute commémoration lorsqu’il affirmait : « Sachons-nous unir par un avenir fraternel plus encore que par un passé commun ».
Et Jean Jaurès disait « Maintenir la tradition, c’est garder la flamme, non les cendres ».
A La Croisille aussi, nous devons travailler ensemble pour garder la flamme et pour que le « plus jamais ça » puisse avoir un sens partagé et approprié par tous, un sens véritablement républicain.
Soyons conscients de la fragilité de notre société qui n’est jamais à l’abri d’un retour de la barbarie qui aujourd’hui prend la forme du racisme, de l’islamophobie, de l’antisémitisme, de l’exclusion et du rejet de l’autre au prétexte qu’il est différent de nous.
L’actualité nous rappelle chaque jour, avec son cortège d’images tragiques, combien les conflits, les guerres n’ont jamais cessé de résonner, partout dans le monde.
Pour terminer je forme le vœu qu’en célébrant notre passé commun nous soyons plus unis pour un avenir fraternel.
Vive la Paix,
Vive la France,
Vive la République,